« KORA – Ecologie des carnivores et gestion de la faune sauvage » est une fondation Suisse d’utilité publique basée en Suisse alémanique.
Son but est d’étudier le mode de vie des cinq carnivores que sont le lynx, le loup, l’ours, le chat sauvage et le chacal doré.
Le KORA suit non seulement l’évolution de leur population à l’échelle de la Suisse toute entière mais participe aussi à des projets internationaux (rétablissement du lynx des Balkans, projet avec l’OFB de simulation de la dispersion/connectivité pour le lynx).
Le KORA fournit des informations aux autorités Suisse et au public et joue un rôle consultatif. Il observe aussi l’impact des grands prédateurs sur le paysage et développe les bases d’une coexistence peu conflictuelle des grands carnivores avec les humains.
Il assure également le suivi des effets du retour des grands prédateurs sur leurs proies sauvages, mais aussi le suivi de leur statut génétique et de la santé des populations. Il étudie par ailleurs le taux d’acceptation par la population Suisse des grands carnivores.
Le KORA utilise le monitoring pour acquérir les données concernant les populations de ces cinq carnivores.
Le monitoring des prédateurs est difficile et aucune méthode parfaite n’existe. Le KORA pratique le monitoring opportuniste par piège photographique, le recueil d’observations fortuites, d’animaux retrouvés morts, de dégâts causés, etc. Il prélève également des échantillons en vue d’analyses génétiques (loup et ours).
Mais il utilise également des méthodes de monitoring déterministe spécifiques à chaque espèce. Dans le cas du lynx, la taille et la densité de la population sont estimées par des méthodes de capture-recapture photographique (tout comme à la RNNHCJ, voir https://www.arn-nature.fr/2022/02/02/tout-savoir-sur-le-suivi-des-lynx/ et https://www.kora.ch/fr/especes/lynx/piegeage-photographique pour plus de détails) tous les trois à quatre ans dans les aires de référence. Dans le cas du loup, ce sont des méthodes génétiques (salive sur animaux prédatés, excréments, urine, poils, sang ou tissus) combinées avec un monitoring opportuniste par piège photographique qui sont utilisés pour évaluer la taille de la meute et le nombre de petits.
Vous pourrez en apprendre encore beaucoup plus sur chacun de ces prédateurs (Portrait, Détection, Distribution/populations, Prédation d’animaux de rente, etc.) en parcourant le site web du KORA (https://www.kora.ch/fr) ou en vous abonnant à sa newsletter (https://www.kora.ch/fr/kora-news-inscription) Bonne lecture !
Bonjour ! Vous, je vous connais, vous êtes le loup, celui du « Petit Chaperon rouge », les vêtements en moins…
Aaaah… votre « Grand méchant loup » imaginaire ! Il n’a pas grand-chose à voir avec nous mais cause à mon espèce, aujourd’hui encore, bien du tort. Les scientifiques qui nous étudient sérieusement n’ont que peu de poids face à ces contes populaires qui ont bercé votre enfance…
Nous vous donnons ici une occasion de rétablir quelques vérités. Alors pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?
Mon pelage est beige-gris avec une ligne noire très élégante, sur les pattes avant. Considérez que je ressemble à un berger allemand (et ce n’est pas pour rien… voir ci-dessous) avec une taille au garrot de 60-90 cm et un poids de maximum 30 kg pour les femelles et 40 kg pour les mâles. Bien loin des monstres de 80 kg que certain.es d’entre vous certifient avoir croisés…
C’est le grand Linné, en 1758, qui nous a donné le nom scientifique de Canis lupus. Parmi les Mammifères, vous nous avez classés dans l’ordre des Carnivores, famille des Canidés.
Nous sommes plusieurs sous-espèces de « loup » à travers la planète. Pour ma part, je suis membre de Canis lupus lupus. En français, vous nous avez nommés « Loup gris ». Parmi mes cousins proches, il y a le loup arctique (Canis lupus arctos) ou le loup des Indes (Canis lupus pallipes) mais aussi un que vous connaissez très bien : Canis lupus familiaris, j’ai nommé… le chien !
Vous n’êtes donc qu’une seule et même espèce avec notre chien domestique ?
Et oui, le chien n’est rien d’autre qu’un loup que vous avez domestiqué pour vous rendre (de nombreux) services, il y a plus de 30 000 ans.
Revenons à vous : vous faites énormément parler de vous depuis quelques temps car vous êtes de retour en France. Est-ce vraiment un retour ?
Bien sûr ! Jusqu’à il y a environ un siècle, nous occupions tout le territoire français. Malgré les services que notre cousin chien vous rendait (ou peut-être justement parce que vous aviez ce que vous vouliez de nous…), vous avez développé une haine contre nous, nous transformant en coupable facile, allant jusqu’à nous accuser d’enlever vos enfants pour les dévorer alors que vous n’êtes pas du tout à notre goût…
A cause de toutes ces rumeurs contre nous et d’attaques, réelles, sur vos troupeaux, vous avez exterminé jusqu’au dernier loup de France. Heureusement, d’autres contrées ont été plus accueillantes et nous ont permis de nous maintenir en attendant des jours meilleurs.
Je précise que, contrairement à une rumeur persistante, nous n’avons pas été lâchés par des « écolos ». C’est bien par nos propres moyens que nous sommes revenus en France, depuis l’Italie, à la faveur de notre statut d’espèce protégée et grâce au développement des surfaces forestières.
La forêt est donc votre habitat ?
Oui, mais nous ne nous limitons pas aux espaces boisés. Nous sommes plutôt adaptables à ce niveau ; les scientifiques nous nomment « espèce euryèce ». En particulier, dans nos déplacements et notre recherche de nourriture, nous pouvons parcourir de grandes distances et les milieux ouverts ne nous font pas peur. Vous n’avez qu’à lire les livres et/ou visionner les films de Jean-Michel Bertrand pour vous en convaincre (La vallée des loups ; Marche avec les loups et en ce moment : Vivre avec les loups).
Pourquoi parcourez-vous de si grandes distances si vous avez de quoi vous nourrir à un endroit donné ?
Notre vie sociale est très complexe. Quand vous nous laissez un peu de répit, nous nous organisons en meute autour d’un couple dominant (les fameux mâle et femelle alpha) qui se reproduit, avec les jeunes de l’année et des années précédentes. Nos relations sociales sont régies par une hiérarchie stricte. Durant notre adolescence, nous prenons soin de nos jeunes frères et sœurs mais le moment venu, il nous faut quitter notre meute d’origine. Au cours de cette dispersion (qui assure un brassage génétique entre meutes), nous vivons une vie solitaire ou à quelques jeunes, le temps de trouver un nouveau territoire pour fonder notre propre meute ou en rejoignant une meute déjà formée, selon les situations.
Pendant longtemps, l’Ain a été un front de colonisation à partir des Alpes et du Jura, où nous sommes présent.es depuis 30 ans. Seul.es quelques-un.es d’entre nous étaient photographié.es par des pièges-photo (voire vus) chaque année. 2023 représente un tournant pour notre espèce, dans l’Ain. Nous avons été plusieurs à nous déplacer voire à nous installer dans votre département. En particulier, comme vous avez eu la bonne idée de mettre en Réserve les hauteurs de la Haute-Chaine du Jura, les protégeant ainsi de l’urbanisation et autres aménagements, nous y avons trouvé les conditions idéales pour l’installation d’une meute qui a donné naissance à deux louveteaux. Un événement qui ne peut que nous réjouir !
Cela ne s’est pas fait sans tension, notamment avec les attaques d’un troupeau à deux pas de la Réserve. Pourquoi vous attaquez-vous aux animaux domestiques ?
Pour nous nourrir ! En particulier lorsque nous sommes seul.es lors de notre dispersion car il est plus facile pour un loup seul de croquer un animal domestique que de courir après un chevreuil ou un chamois. Quant aux cerfs, notre proie de prédilection, ils ne nous sont accessibles que lorsque nous vivons en meute bien établie car nous pouvons alors réaliser des chasses collectives (une merveille de coopération et d’intelligence, cela dit en passant !). Bien sûr, nous sommes opportunistes donc nous nous adaptons à ce que nous trouvons, quitte à nous rabattre sur de plus petites proies.
Comment justifiez-vous les attaques de plusieurs animaux domestiques qui ne sont même pas consommés ?
Les scientifiques, qui nous ont bien observé.es, ont compris pourquoi nous perdons parfois toute raison écologique. En milieu naturel, quand nous attaquons un groupe d’herbivores, c’est la panique jusqu’à ce que notre proie soit capturée. Dommage pour elle mais pour les autres, l’alerte est finie et ils peuvent retrouver leur calme un peu plus loin. Les animaux domestiques qui sont clôturés continuent à s’agiter en tous sens et stimulent notre instinct stimulé par les proies en mouvement. Il y a alors ce que vous appelez un « surplus killing », comme pour le renard dans un poulailler…
Il arrive également que certain.es d’entre nous, dans leur apprentissage, s’entrainent à tuer alors qu’ils ont déjà été nourris grâce aux chasses collectives.
Enfin, il n’est pas exclu que certain.es d’entre nous se spécialisent dans l’attaque de troupeaux domestiques, par exemple un individu âgé et isolé.
Vous comprenez alors que les éleveurs et éleveuses demandent alors à tuer les loups qui attaquent.
De mon point de vue, vous comprendrez bien que ce n’est pas acceptable ! Mais même en me mettant à votre place, à moins d’avoir affaire à un loup spécialisé dans les animaux domestiques qui commet de multiples attaques, l’autorisation de tir est une fausse bonne idée. En particulier, vos scientifiques savent parfaitement que lorsque les services de l’État décident que nous pouvons être tué.es suite à une attaque (alors que nous sommes une espèce protégée !), le risque est surtout qu’une meute installée soit déstabilisée et que les individus se dispersent. Ce sont alors plusieurs individus qui bénéficiaient de la vie en groupe et qui se retrouvent à devoir se nourrir seul.es… avec donc plus de risques de se tourner vers les animaux domestiques.
Il est préférable de mettre en place des moyens de protection, comme le font déjà de nombreux éleveurs et éleveuses, pour nous dissuader en rendant les attaques sur troupeaux plus difficiles.
Quels sont ces moyens de protection ?
Il en existe plusieurs et ils sont indispensables pour obtenir une indemnisation en cas d’attaque. Pour se protéger, les éleveurs et éleveuses peuvent être aidé.es par les services de l’État ou des associations, comme l’APACEFS (Association des Protections Alternatives pour la Cohabitation de l’Elevage et de la Faune Sauvage), qui pose par exemple des pièges-photo afin de mieux comprendre le comportement du loup (ou du lynx) présent autour d’un élevage et ainsi proposer les moyens de protection les plus adaptés.
Les troupeaux peuvent être protégés par des clôtures mais aussi par la présence d’un.e berger ou bergère. Les chiens de protection (« patous » et autres races), à ne pas confondre avec les chiens qui aident le berger ou la bergère à conduire le troupeau (ex. border-collie), savent se montrer dissuasifs si nous tentons d’attaquer un troupeau.
Ils sont tellement dissuasifs qu’il y a régulièrement des problèmes avec des randonneurs ou randonneuses et VTTistes.
Là encore, c’est surtout le manque d’informations qui pousse les humains à envoyer de mauvais signaux aux chiens de protection. Ils sont impressionnants car ils ont été sélectionnés (par vous !) pour cela mais ce ne sont pas des chiens d’attaque. Ils font leur travail (difficile car ils doivent prendre des décisions pour protéger leur troupeau seul, en l’absence d’humain) et cherchent juste à évaluer le danger, quand ils vous voient approcher. Quelques gestes simples suffisent à éviter les problèmes : voir l’article sur la formation proposée par FNE sur les chiens de protection.
Malgré les moyens de protection, il vous arrive tout de même d’attaquer des troupeaux, en particulier cette année.
Certes, les attaques ont été plus nombreuses cette année (18) et ont fait 43 victimes. Toutefois, rappelons que la déprédation par notre espèce ou par le lynx, autre grand prédateur, représente moins de 1 % de la mortalité des ovins et des caprins de l’Ain, contre 5 % à 12 % en raison de maladies ou d’accidents. Cela n’enlève rien au stress subi par les éleveurs et éleveuses dans ces situations mais vous n’êtes qu’une espèce parmi des millions, sur Terre, et il y a peut-être à tenter d’accepter ces attaques (sauf cas exceptionnel comme un.e des nôtres qui n’attaquerait que les troupeaux, peut-être…) comme vous acceptez les maladies et les accidents… ainsi que les conditions économiques qui rendent la vie très difficile aux éleveurs et éleveuses.
Y a-t-il d’autres raisons pour lesquelles nous devrions accepter votre retour ?
Les grands prédateurs que nous sommes sont un maillon indispensable dans un écosystème équilibré. Demandez aux forestiers et forestières : si les grands herbivores causent parfois des dégâts importants sur la végétation, c’est parce qu’ils ont tout loisir de se regrouper dans certaines zones car nous ne sommes pas là ! Quand le lynx ou le loup est présent, nous exerçons une pression de prédation qui pousse ces herbivores à se disperser.
Et je ne parle pas de notre rôle dans l’élimination des proies les plus faibles, la limitation de la propagation des maladies, etc.
Alors, vous pensez que nous pouvons cohabiter pacifiquement ?
Oui, j’y crois ! Et je ne suis pas le seul : nombre d’entre vous sont du même avis et œuvrent chaque jour en ce sens, notamment parmi les Ami.es de la Réserve et d’autres associations de protection de la Nature. La route est encore longue mais nous réussirons bien, un jour, à vivre ensemble. Vous êtes tou.tes concerné.es, directement ou indirectement, par vos choix de consommation pour soutenir les éleveurs et éleveuses ou encore par votre comportement lorsque vous rencontrez un troupeau protégé par des « patous »… Nous comptons sur vous !
Marjorie Lathuillière
PS: Et qu’en est-il chez nos voisins suisses? Cf la lettre ouverte rédigée par de nombreuses associations sur la décision de la Suisse de tuer 70% de sa population de loups.