Par Pierre-Maurice Laurent, membre des ARN et ancien président de l’association, membre de la Cellule technique de la Réserve Naturelle au titre du Conseil scientifique.
Qui connait l’Orobanche de Bartling (Orobanche bartlingii) ?
A vrai dire pas grand monde, même parmi les botanistes.
Et pourtant cette petite plante discrète de 10 à 20 cm de haut pour sa tige écailleuse, dressée et portant un épis de 10 à 30 fleurs jaunâtres, plus ou moins lavées de rouge, pouvant faire croire qu’il s’agit d’une sorte d’orchidée comme l’orchis Néottie nid-d’oiseau, est l’une des trois espèces végétales bénéficiant du statut « d’espèce à enjeu » dans le tout nouveau Plan de gestion de la Réserve naturelle de la Haute Chaîne du Jura (PG3). C’est une espèce mal connue mais inscrite sur la liste rouge des espèces en danger.
Son aire de répartition est pourtant vaste puisqu’elle s’étend jusqu’en Chine via la Sibérie et les pays baltes ; en France elle est confinée aux départements frontaliers de l’est, en stations éparses.
Découverte en 2001 par Patrice Prunier, elle a fait l’objet d’un suivi depuis 2009 par les Conservatoires Botaniques alpin et de Franche-Comté et, surtout, la récente Etude « Reculet- Crêt de la Neige » (2015-2016), portée par le gestionnaire de la Réserve Naturelle, la CCPG, et pilotée par le Conseil scientifique, l’HEPIA et l’équipe de la Réserve Naturelle, a permis d’en savoir plus. Une seule station est connue sur la Haute Chaîne du Jura ; elle est l’une des plus importantes de France avec des effectifs d’environ … 250 tiges.
C’est dire la rareté de l’espèce !
Mais c’est une plante encore largement énigmatique en raison d’une forte variabilité interannuelle et d’une vie souterraine encore très mal connue. La mise en place d’un protocole précis et, surtout, fixe permettra de mieux comprendre la répartition et l’écologie de cette espèce.
Vous avez dit Dracula ?
Comme toutes les orobanches (plus de 150 espèces) c’est une plante qui, à défaut de chlorophylle, doit aller chercher chez une plante hôte « le couvert » en utilisant le système vasculaire de cette dernière pour lui soutirer eau, sels minéraux et composés organiques … L’efficacité de ce parasitage (sur les racines de l’hôte) est très limité, alors l’orobanche compense cette faiblesse par la multiplication de minuscules graines (plusieurs dizaines de milliers par plante !). A tel point que certaines orobanches sont devenues de réelles menaces, dans les plaines, pour des cultures comme tomate, pomme de terre, colza, trèfle, chanvre … Ce n’est, évidemment, pas le risque sur la Haute Chaîne. L’Orobanche de Bartling est strictement inféodée à une petite ombellifère, le Seseli libanotis, (Séséli du Liban), parfois appelé « persil de montagne », qui pousse dans les pelouses calcaires, sèches et rocailleuses vers 1400 mètres d’altitude.
Une plante à enjeu pour la Réserve naturelle
L’élaboration du 3ème plan de gestion de la Réserve Naturelle a duré plus de deux ans et a nécessité le recrutement d’une chargée de mission scientifique, en appui de l’équipe permanente de la Réserve Naturelle et de ses supports (Cellule technique et Conseil scientifique). Il a été validé l’an dernier par le Comité Consultatif de la Réserve Naturelle de la Haute Chaîne du Jura (CCRN) et par le Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel (CSRPN). Huit objectifs majeurs ont été dégagés :
- 3 enjeux : pour le Grand Tétras, pour le Lynx, pour la flore patrimoniale,
- 2 milieux naturels : écosystèmes forestiers et pelouses mésophiles montagnardes,
- 3 secteurs : amélioration de la connaissance, ancrage territorial, fonctionnement.
Parmi les 1466 espèces floristiques connues, trois ont été considérées comme représentant un enjeu patrimonial très fort pour lesquelles la Réserve Naturelle avait « une responsabilité majeure ». Outre l’Orobanche de Bartling, le flamboyant Chardon bleu (Eryngium alpinum), communément appelé « panicaut des Alpes », protégé au niveau national mais connu sur seulement quatre sites dans la RN, et la discrète et gracieuse Joubarbe de Fauconnet (Sempervirum fauconnettii), une espèce endémique de la Haute chaîne, répertoriée sur deux sites !
Fiches-actions et protocoles
Chacune de ces plantes a fait l’objet d’une fiche-action la concernant spécifiquement (il y en a 94 dans le Plan de Gestion PG3 ! *) ainsi que de cinq fiches-actions communes aux 3 plantes. Sur chacune est établi un protocole précis, dégageant l’enjeu et l’objectif à long terme, les mesures retenues, l’estimation du temps d’intervention, les personnels concernés, un calendrier prévisionnel, les indicateurs attendus pour mesurer la réussite de l’opération, la priorité, les liens avec d’autres actions …
La fiche-action pour l’Orobanche de Bartling est répertoriée « CS 11 », ce qui signifie qu’il s’agit de « connaissance et de suivi ». Il en est de même pour les deux autres plantes, respectivement « CS12 » et « CS13 ». Les cinq fiches-actions communes aux trois plantes sont :
- CS14 : prospections sur des sites potentiels,
- MS5 (management et soutien) : accompagnement des alpagistes pour éviter le pâturage,
- CS15 : surveillance de l’abroutissement (= pâturage) par le bétail + faune sauvage,
- SP2 (surveillance et police) : tournées de surveillance ciblées sur la cueillette,
- PA1 (pédagogie et animation) : réalisation et mise en œuvre d’outils de communication.
Tout ceci donne un aperçu, loin d’être exhaustif, de la diversité des missions des agents de la Réserve naturelle, avec l’appui éventuel de ses partenaires.
Vous pouvez voir-ci dessous la fameuse fiche-action « CS 11 » , n’hésitez pas à la télécharger pour mieux la visualiser:
Des menaces
Ainsi, le suivi sera assuré en partenariat avec le Conservatoire Botanique National Alpin (CBNA). Les interventions doivent se faire tous les deux ans (années paires) sur la durée du Plan de Gestion 3, c’est-à-dire jusqu’en 2029, entre juin et août pour le travail de terrain. Les premiers résultats confirment la grande fluctuation interannuelle du nombre de plantes fleuries.
Outre les menaces d’un pâturage excessif (actuellement la plus immédiate) et de cueillette (pourtant interdite) ou de piétinement, un autre danger réside, sur le long terme, dans la fermeture des milieux favorables à la plante hôte, le Séséli du Liban, par l’envahissement des ligneux. Les changements climatiques actuels, dûment constatés, sont accélérés dans les montagnes et rendent ainsi la menace préoccupante.
Dracula a mal fini dans les Carpates, gageons que l’Orobanche de Bartling connaisse un meilleur sort sur la Haute Chaîne du Jura !
(*) : 94 fiches-actions, réparties en 8 domaines :
- 41 connaissance et suivi,
- 6 surveillance et police,
- 5 intervention sur patrimoine naturel
- 32 management et soutien,
- 9 étude et ingénierie,
- 2 création d’infrastructure d’accueil,
- 6 pédagogie et animation,
- 3 support de communication.
Sources documentaires :
Lexique :
HEPIA : Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève. Elle a été le principal intervenant, sous la houlette de Patrice Prunier, dans le projet d’Etude Reculet-Crêt de la neige.
CSRPN : Conseil scientifique régional du patrimoine naturel. Il donne son avis/aval aux opérations importantes dans les milieux protégés, notamment ceux qui ont des mesures de protection forte comme les réserves naturelles.
CCRN : Comité consultatif de la Réserve naturelle. Il est l’instance de délibération de la RN, sachant que la décision appartient au préfet, représentant de l’Etat, via les arrêtés préfectoraux. Il comprend l’ensemble des acteurs de la Réserve naturelle (administrations territoriales et État, élus locaux, propriétaires, usagers, associations, scientifiques). Il se réunit deux fois par an. Il existe une formation restreinte du Comité consultatif, le Comité de suivi de travaux, pouvant instruire des demandes de travaux ou manifestations de faible ampleur.
Cellule technique : C’est un groupe de travail qui conseille le conservateur de la RN pour la conception et la mise en œuvre du plan de gestion (PG). Il s’est ainsi réuni mensuellement, ces cinq dernières années, pour élaborer le PG3 et, au préalable, faire le bilan du PG2. Elle est composée du « premier cercle » des partenaires de la Réserve naturelle : l’ONF(Office National des Forêts), le PNR du Haut-Jura, le Conseil Scientifique, les ARN et le pôle environnement de la Communauté d’agglomération du Pays de Gex (PGA).