Par Patrick Joudrier, membre des ARN et photographe amateur.
Les yeux dans les yeux…
Est-ce que je le prends aujourd’hui ou pas ? Si c’est juste pour lui faire prendre l’air, est-ce bien utile? Pour les jumelles, la question ne se pose pas mais lui… bon allez, tu peux venir encore une fois mais tu as intérêt à sortir du sac à dos aujourd’hui! Lui… c’est mon reflex avec ses inséparables objectifs grand angle 17-40mm et télé-zoom 100-400mm. C’est vrai que les bougres ne sont pas extrêmement lourds mais quand on les rajoute à tous les autres effets qu’il faut mettre dans le sac à dos pour une rando à la journée dans le Jura l’hiver, ça commence à charger la mule et mes pauvres rotules!
Nous sommes fin janvier et cela fait bien 3 heures que j’ai quitté le village de Crozet pour rejoindre les crêtes en raquettes lorsque mon estomac m’ordonne de faire une petite pause, décision que mes jambes acceptent volontiers. Baguette fraîche, viande séchée, comté et quelques fruits secs… manque plus qu’un petit savagnin oxydé du Jura pour être au paradis! Du sommet d’un petit promontoire, j’en profite pour faire un n-ième tour d’horizon avec les jumelles lorsque… non, je ne rêve pas, après une matinée sans avoir vu âme qui vive, c’est bien un renard qui vagabonde dans la neige qu’on aperçoit là-bas. Il ne semble pas très bien savoir où aller.
Il zigzague, retourne sur ses pas, parcourt quelques mètres, se couche puis se relève quelques instants après pour continuer de zigzaguer en reniflant la neige, encore et encore. Il ne se dirige pas dans une direction bien définie mais semble plutôt quadriller une petite zone. Il est bien à 400-500m de moi et après 15 minutes de contemplation lointaine, trop lointaine, je décide de me rapprocher un peu. Auparavant, il faut prérégler le reflex: pleine ouverture (4.5), vitesse sur 1/1250s, ISO en automatique tout en vérifiant qu’on ne bute pas à 100 ISO et surtout, mode silencieux. Vite, remettre mes vivres dans le sac, enfiler l’appareil autour du cou et fourrer les raquettes dans le sac pour éviter leur bruit de castagnettes. Je visualise le trajet pour qu’il ne me détecte pas de loin et c’est parti !
Descente dans le petit val en direction de la combe puis passage comme prévu derrière le petit crêt hors de son champ de vision. Le renard roux (Vulpes vulpes) ne remarque pas facilement une personne parfaitement immobile (sans contraste trop exagéré). En revanche, il perçoit le moindre mouvement mais grâce à ce trajet savamment étudié, tout va bien pour l’instant. Il possède également un sens olfactif extrêmement développé (on l’estime 400 fois plus performant que le nôtre [1]) et arggg… je suis justement à mauvais vent! Quelle erreur de débutant! C’est sûr, il m’a senti de l’autre côté du crêt. Je m’en veux de l’avoir potentiellement dérangé! De toute façon, il faut sortir de cette combe. Lentement, tout doucement, à pas feutrés, je débouche du crêt et m’attends à le découvrir à une 100aine de mètres de moi… ou plus! Ça-y-est, je le vois. Il est toujours au même endroit. Il est magnifique ! Son pelage hivernal est bien fourni et sain, d’une belle couleur brun-roux.
Sa gorge et son ventre sont plutôt blancs. Sa queue au petit bout blanc est aussi bien gonflée. Mais qu’il est beau! Il vadrouille toujours à la recherche de nourriture. Il s’est un peu éloigné de sa position initiale mais reste à environ 150m de moi. Je dépose doucement mon sac par terre tout en le regardant mais il s’est arrêté net dans sa quête et me regarde!
Tout comme son odorat, son ouïe est particulièrement aiguisée. Elle sert à se prémunir d’un danger mais aussi à localiser les rongeurs et insectes qui émettent des bruits basses fréquences qui nous sont inaudibles mais que le renard perçoit parfaitement. Il entendrait ainsi le chicotement de rongeurs situés à 100m [2]. Et moi qui vient de déposer, il me semble pourtant délicatement, un sac à dos avec des castagnettes dans la neige! Ne plus bouger, surtout ne plus bouger! Il m’observe, il est en train de juger de ma dangerosité. Les 10 secondes qui suivent me semblent une éternité et un sentiment de culpabilité m’envahit. Ouf, il se remet tranquillement à parcourir les touffes d’herbes qui émergent des plaques de neige résiduelle. Il ne « mulote » pas mais enfouit régulièrement son museau dans des trous afin de débusquer des campagnols ou peut-être tout simplement des vers de terre dont il est aussi friand.
Toutes les minutes, il jette un œil dans ma direction. Régulièrement, il se couche puis semble faire une micro-sieste d’une à deux minutes, recroquevillé, sa truffe parfois enfouie sous sa queue touffue.
C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle sa queue s’épaissit l’hiver: elle permet d’isoler son museau lorsque le renard s’enroule pour dormir [2]. Je profite alors de ces quelques pauses pour m’avancer encore un peu, rampant avec mon matériel, jouant un peu à « 1-2-3 soleil ». A bonne distance, je décide d’arrêter de jouer à Rambo et l’observe longuement à l’aide de ma paire de jumelles.
Les minutes passent et ma présence ne semble vraiment pas le déranger. Je suis allongé dans la neige et me délecte de ces instants privilégiés, changeant de cadrage et de réglage et étudiant son comportement. Il vadrouille toujours à environ 100m de ma position puis soudain… mais, que fait-il ? Il a cessé de zigzaguer et vient désormais clairement dans ma direction. Tout d’abord tête au ras du sol toujours à la recherche de nourriture,
puis sa posture se redresse et il arrive désormais d’un pas bien décidé tout droit sur ma personne en regardant clairement dans ma direction.
Il est à présent à une trentaine de mètres de moi ! Tête parfois légèrement baissée, il continue encore d’avancer dans ma direction en « tirant de légers bords ». Je suis allongé dans la neige avec mon appareil photo autour du cou et ma paire de jumelles posée dans la neige. Allongé de la sorte, je suis assez vulnérable et il est maintenant à moins de 10m de ma position! La rage n’est plus d’actualité en France (+Suisse, Allemagne, Italie) depuis la fin des années 1990 [1][2][3]. Pendant des années, l’homme a essayé d’éradiquer les renards, son principal vecteur, mais heureusement sans succès. La dissémination massive de vaccins, parfois par hélicoptère, a finalement eu raison de la rage en France. Cependant, « partout en Europe, la vigilance s’impose encore pour plusieurs raisons. Premièrement, il existe un risque lié à l’importation d’animaux, en particulier de chiens en provenance de pays où la rage est encore présente. Deuxièmement, la rage existe encore dans certains pays de l’Est et son importation reste possible. Troisièmement, certains scientifiques supposent que le virus responsable de l’épizootie européenne était originellement lié aux chauves-souris et qu’il serait passé ensuite sur les carnivores. Si cette hypothèse est correcte, il n’est pas exclu qu’un passage de ce genre se reproduise »[2]. Sachant de plus qu’un renard enragé est totalement désorienté, se déplace de jour, s’approche sans crainte de l’homme et cherche à mordre des objets ou d’autres animaux, ma position allongée sur le ventre n’est pas judicieuse! Je me redresse lentement puis m’assois, jambes allongées devant moi. Il est désormais à 4-5m et renifle le sol tout autour de moi, me regardant très souvent. Je tourne avec lui pour l’admirer mais aussi toujours l’avoir à l’œil.
C’est un comble, le téléobjectif est sur sa focale minimum de 100mm et le renard déborde désormais du cadre! Il doit être à moins de 3m. Il continue de tourner autour de moi, humant le sol et reniflant mes empruntes.
Mais… que fait-il ? Il s’approche encore… il est à 50cm de mes pieds, continue d’avancer puis renifle maintenant mes chaussures!
Je reconnais que je reste sur mes gardes et malgré mes épaisses chaussures de randonnée me tiens prêt à retirer mon pied, juste au cas où…
In-cro-yable… il continue d’avancer doucement et renifle désormais mon mollet! Mais que veut-il? Jusqu’où va-t-il encore s’approcher ? Il lève alors la tête, s’immobilise et regarde droit dans l’objectif. Il est trop près et la mise au point ne se fait plus. Et de toute façon, j’ai bien mieux à faire! Je pose lentement le reflex sur mes jambes afin de profiter pleinement de cet instant magique.
Nous allons nous regarder les yeux dans les yeux pendant 10 bonnes secondes… 10 secondes d’in-des-crip-tibles émotions! J’en ai la chair de poule rien que d’y repenser!
Tout comme les autres moments fort de la vie, je me rappellerai à tout jamais de cet intense échange de regards et de la confiance réciproque qui s’est établie.
A partir de ce moment-là, ma crainte résiduelle disparue, ce ne sera que du pur bonheur! Je ne ferai que très peu de photos, profitant à fond de ces instants privilégiés. Mon compagnon restera encore 10 bonnes minutes autour de moi, s’éloignant pour mieux revenir tout proche, s’allongeant paisiblement à quelques mètres, zigzaguant devant moi, reniflant le sol et mes empruntes puis, comme toutes les bonnes choses ont une fin, il finira par s’éloigner progressivement et disparaître derrière un petit crêt.
Pourquoi s’est-il approché aussi près? Que voulait-il? Pourquoi a-t-il pris autant de risques? A-t-il senti que je ne lui voulais aucun mal ? Autant de questions qui resteront sans réponse…
Je resterai encore 5 minutes assis, ne comprenant toujours pas ce qui venait de se passer, la tête dans les étoiles et les yeux qui brillent comme un gamin à qui on avait offert la lune.
Merci à toi Renard, merci de m’avoir fait confiance, de m’avoir procuré ce bonheur et ses intenses émotions. Tu n’es pas perdant au change. Tu as déclenché en moi cette envie de mieux te connaître et de désormais indirectement participer à ta défense et ta protection. C’est en effet en tentant d’en connaître plus sur ce bel opportuniste que je découvrirai une autre association qui milite activement à la sauvegarde et protection des animaux sauvages en France: ASPAS (Association pour la protection des animaux sauvages). Tout comme les ARN, cette association a fait de la protection de la Nature son unique but. Longue vie aux Renards, longue vie à l’ASPAS, longue vie aux ARN !
Bibliographie
[1] Le Renard – Aspect, comportement, urbanisation, J.-P. et Y.-C. Jost, Ed. Cabédita 2005, ISBN 2-88295-429-8
[2] Le Renard – Description, comportement, vie sociale, mythologie, observation, Jean-Steve Meia, Ed. Delachaux et Niestlé 2016, ISBN 978-2-603-02451-5
L’alpage communal de Narderans est utilisé par deux agriculteurs. Toutefois, le sentier d’accès était devenu dangereux pour les promeneurs et impraticable pour les troupeaux, en raison des marches en bois trop espacées et du risque de tomber dans le ravin. Aussi la commune de Thoiry a reçu l’autorisation pour y réaliser des travaux qui ont commencé le 2 août.
Avant les travaux à gauche, après à droite !
Nécessité de nouveaux travaux
Suites à plusieurs orages, d’importantes coulées de pierres sont intervenues à l’entrée du creux de Narderans, menaçant d’emmener complètement le sentier et présentant un danger très sérieux pour les randonneurs et le bétail, des chutes de pierres pouvant intervenir à tout moment.
Etat de la coulée de pierres
Suite à l’étude d’un bureau spécialisé, en présence de la Réserve, de l’agglo et de la commune, des travaux de sécurisation vont être entrepris dès le 23 août. Au vu de l’urgence de ces travaux, Madame la Sous-Préfète a délivré l’autorisation, le prochain Comité Consultatif de Réserve sera informé.
Par Jean-Christophe Delattre, membre des ARN, photographe amateur.
Les activités humaines ont souvent pour conséquence de détruire des habitats naturels. Les zones humides en sont un parfait exemple. Elles auraient été réduites de 35% en seulement 40 ans dans le monde, et cette diminution, qui est maintenant tout de même freinée, ne s’arrête pas pour autant. Un bel exemple est le projet OPEN, qui se concrétise à Saint Genis Pouilly sur une belle prairie humide ! Pourtant, les zones humides sont les milieux les plus riches en biodiversité, alliant des habitats et des espèces à la fois terrestres, aquatiques ou dépendantes de ces deux deux types de milieux. Mais une fois n’est pas coutume, il arrive que les activités humaines soient à l’origine du façonnage d’une nouvelle zone humide. Ainsi, le marais de l’Etournel, situé au bord du Rhône sur la commune de Pougny, résulte de la réhabilitation d’une carrière d’extraction en roche meuble qui a été exploitée dans les années 1970 puis abandonnée à la fin des années 1980.
Aujourd’hui, ce site de 200 ha comprenant 8 étangs est reconnu pour son intérêt écologique. Il fait partie du réseau européen Natura 2000. De plus, au niveau départemental, il est classé ENS (Espace Naturel Sensible) et, à ce titre, a vocation à être géré, valorisé et ouvert au public. Le site est également règlementé par un APPB (arrêté préfectoral de protection de biotope). Le Marais de l’Etournel comprend également une réserve de Chasse et une réserve de pêche. Tout ceci rend sa gestion délicate. Cette responsabilité a été confiée au Parc Naturel Régional du Haut Jura.
Prairies humides, étangs et forêts alluviales rendent le site intéressant pour de multiples espèces animales, des insectes aux grands mammifères. Libellules, papillons, grillons et criquets sont nombreux. Les reptiles et amphibiens sont très présents également. On observe facilement la tortue de Floride, espèce invasive difficile à réguler. Notre tortue indigène, la Cistude, ne vit pas sur le site. La question de son introduction a déjà été évoquée.
Parmi les espèces emblématiques, le castor est bien implanté, résultat d’une introduction à la fin des années 90. En se baladant le long des étangs, on peut observer facilement les traces de son activité (arbres coupés en pointe, écorces rongées…).
Une autre espèce emblématique est le Cerf élaphe. Le site de l’Etournel est d’ailleurs connu pour le brame du Cerf à l’automne. Mais attention, interdiction de pénétrer sur le site entre 18h et 8h du matin, et ce du 15 septembre au 15 novembre ! Cette règlementation est indispensable pour dissuader les nombreux photographes amateurs d’aller déranger en masse les cerfs durant une période cruciale de l’année. Pour entendre l’impressionnant brame du roi de la forêt, une plateforme d’écoute est accessible à côté de la ferme des Isles.
Les oiseaux sont également très diversifiés. On peut croiser pas moins de 250 espèces différentes, à condition d’être observateur bien entendu ! Le site étant placé le long d’un couloir de migration, beaucoup d’oiseaux peuvent se succéder tout au long de l’année. Parmi les espèces remarquables, on peut citer dans la catégorie « hérons » le discret Butor étoilé qui fréquente les roselières en hiver.
Butor étoilé caché au bord de sa roselière. Photo J.C. Delattre
Plus récemment, la Rousserolle turdoïde, un gros passereau rare car exigeant sur la qualité de l’habitat, est revenu au printemps pousser son chant très puissant dans les roseaux. La sterne pierregarin, elle, a fait son apparition sur le site pour tenter de s’y reproduire. Enfin, on ne peut parler des oiseaux sans citer le Martin-pêcheur, l’un des plus beaux oiseaux d’Europe, qui habite les différents étangs du site tout au long de l’année.
Martin-pêcheur d’Europe au Marais de l’Etournel. Photo J.C. Delattre
La chasse, elle, n’est logiquement pas pratiquée dans cette « réserve de chasse ». Mais en tant que « réservoir » de cerfs et de sangliers, cette dernière fait régulièrement l’objet de battues d’effarouchement, dont le but est de déloger le nombre important d’animaux réfugiés au calme, qui peuvent causer beaucoup de dégâts dans les cultures environnantes. Durant la période de chasse, entre les chasseurs tirant juste en périphérie de la réserve et leurs chiens partant pister à loisir les mammifères au sein du marais, le dérangement reste important pour toute la faune habitant la zone.
En 2018, le PNR du Haut Jura a finalisé plusieurs aménagements sur le site. Un sentier découverte, accessible tous handicaps, a été mis en place pour canaliser les promeneurs sur une partie du site. Il n’attend que vous !
L’accès à certains étangs est maintenant interdit afin de créer des zones de quiétude pour les oiseaux et les mammifères. La règlementation n’est pas toujours respectée, que ce soit par les pêcheurs, les promeneurs et leurs chiens, ainsi que par les baigneurs qui s’accaparent l’un des étangs durant l’été malgré une interdiction totale.
L’avenir du Marais de l’Etournel pourrait être touché dans les années futures par un projet de captage d’eau de la nappe du Rhône, destiné à alimenter en eau potable une population de plus en plus importante. Les débits prélevés pourraient impacter de façon significative le site. Ce projet sera à surveiller !
Par Pierre-Maurice Laurent, membre des ARN et ancien président de l’association, membre de la Cellule technique de la Réserve Naturelle au titre du Conseil scientifique.
Qui connait l’Orobanche de Bartling (Orobanche bartlingii) ?
A vrai dire pas grand monde, même parmi les botanistes.
Et pourtant cette petite plante discrète de 10 à 20 cm de haut pour sa tige écailleuse, dressée et portant un épis de 10 à 30 fleurs jaunâtres, plus ou moins lavées de rouge, pouvant faire croire qu’il s’agit d’une sorte d’orchidée comme l’orchis Néottie nid-d’oiseau, est l’une des trois espèces végétales bénéficiant du statut « d’espèce à enjeu » dans le tout nouveau Plan de gestion de la Réserve naturelle de la Haute Chaîne du Jura (PG3). C’est une espèce mal connue mais inscrite sur la liste rouge des espèces en danger.
Son aire de répartition est pourtant vaste puisqu’elle s’étend jusqu’en Chine via la Sibérie et les pays baltes ; en France elle est confinée aux départements frontaliers de l’est, en stations éparses.
Découverte en 2001 par Patrice Prunier, elle a fait l’objet d’un suivi depuis 2009 par les Conservatoires Botaniques alpin et de Franche-Comté et, surtout, la récente Etude « Reculet- Crêt de la Neige » (2015-2016), portée par le gestionnaire de la Réserve Naturelle, la CCPG, et pilotée par le Conseil scientifique, l’HEPIA et l’équipe de la Réserve Naturelle, a permis d’en savoir plus. Une seule station est connue sur la Haute Chaîne du Jura ; elle est l’une des plus importantes de France avec des effectifs d’environ … 250 tiges.
C’est dire la rareté de l’espèce !
Mais c’est une plante encore largement énigmatique en raison d’une forte variabilité interannuelle et d’une vie souterraine encore très mal connue. La mise en place d’un protocole précis et, surtout, fixe permettra de mieux comprendre la répartition et l’écologie de cette espèce.
Crédit photo: Réserve Naturelle de la Haute-Chaîne du Jura
Vous avez dit Dracula ?
Comme toutes les orobanches (plus de 150 espèces) c’est une plante qui, à défaut de chlorophylle, doit aller chercher chez une plante hôte « le couvert » en utilisant le système vasculaire de cette dernière pour lui soutirer eau, sels minéraux et composés organiques … L’efficacité de ce parasitage (sur les racines de l’hôte) est très limité, alors l’orobanche compense cette faiblesse par la multiplication de minuscules graines (plusieurs dizaines de milliers par plante !). A tel point que certaines orobanches sont devenues de réelles menaces, dans les plaines, pour des cultures comme tomate, pomme de terre, colza, trèfle, chanvre … Ce n’est, évidemment, pas le risque sur la Haute Chaîne. L’Orobanche de Bartling est strictement inféodée à une petite ombellifère, le Seseli libanotis, (Séséli du Liban), parfois appelé « persil de montagne », qui pousse dans les pelouses calcaires, sèches et rocailleuses vers 1400 mètres d’altitude.
Une plante à enjeu pour la Réserve naturelle
L’élaboration du 3ème plan de gestion de la Réserve Naturelle a duré plus de deux ans et a nécessité le recrutement d’une chargée de mission scientifique, en appui de l’équipe permanente de la Réserve Naturelle et de ses supports (Cellule technique et Conseil scientifique). Il a été validé l’an dernier par le Comité Consultatif de la Réserve Naturelle de la Haute Chaîne du Jura (CCRN) et par le Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel (CSRPN). Huit objectifs majeurs ont été dégagés :
3 enjeux : pour le Grand Tétras, pour le Lynx, pour la flore patrimoniale,
2 milieux naturels : écosystèmes forestiers et pelouses mésophiles montagnardes,
3 secteurs : amélioration de la connaissance, ancrage territorial, fonctionnement.
Parmi les 1466 espèces floristiques connues, trois ont été considérées comme représentant un enjeu patrimonial très fort pour lesquelles la Réserve Naturelle avait « une responsabilité majeure ». Outre l’Orobanche de Bartling, le flamboyant Chardon bleu (Eryngium alpinum), communément appelé « panicaut des Alpes », protégé au niveau national mais connu sur seulement quatre sites dans la RN, et la discrète et gracieuse Joubarbe de Fauconnet (Sempervirum fauconnettii), une espèce endémique de la Haute chaîne, répertoriée sur deux sites !
Fiches-actions et protocoles
Chacune de ces plantes a fait l’objet d’une fiche-action la concernant spécifiquement (il y en a 94 dans le Plan de Gestion PG3 ! *) ainsi que de cinq fiches-actions communes aux 3 plantes. Sur chacune est établi un protocole précis, dégageant l’enjeu et l’objectif à long terme, les mesures retenues, l’estimation du temps d’intervention, les personnels concernés, un calendrier prévisionnel, les indicateurs attendus pour mesurer la réussite de l’opération, la priorité, les liens avec d’autres actions …
La fiche-action pour l’Orobanche de Bartling est répertoriée « CS 11 », ce qui signifie qu’il s’agit de « connaissance et de suivi ». Il en est de même pour les deux autres plantes, respectivement « CS12 » et « CS13 ». Les cinq fiches-actions communes aux trois plantes sont :
CS14 : prospections sur des sites potentiels,
MS5 (management et soutien) : accompagnement des alpagistes pour éviter le pâturage,
CS15 : surveillance de l’abroutissement (= pâturage) par le bétail + faune sauvage,
SP2 (surveillance et police) : tournées de surveillance ciblées sur la cueillette,
PA1 (pédagogie et animation) : réalisation et mise en œuvre d’outils de communication.
Tout ceci donne un aperçu, loin d’être exhaustif, de la diversité des missions des agents de la Réserve naturelle, avec l’appui éventuel de ses partenaires.
Vous pouvez voir-ci dessous la fameuse fiche-action « CS 11 » , n’hésitez pas à la télécharger pour mieux la visualiser:
Ainsi, le suivi sera assuré en partenariat avec le Conservatoire Botanique National Alpin (CBNA). Les interventions doivent se faire tous les deux ans (années paires) sur la durée du Plan de Gestion 3, c’est-à-dire jusqu’en 2029, entre juin et août pour le travail de terrain. Les premiers résultats confirment la grande fluctuation interannuelle du nombre de plantes fleuries.
Outre les menaces d’un pâturage excessif (actuellement la plus immédiate) et de cueillette (pourtant interdite) ou de piétinement, un autre danger réside, sur le long terme, dans la fermeture des milieux favorables à la plante hôte, le Séséli du Liban, par l’envahissement des ligneux. Les changements climatiques actuels, dûment constatés, sont accélérés dans les montagnes et rendent ainsi la menace préoccupante.
Dracula a mal fini dans les Carpates, gageons que l’Orobanche de Bartling connaisse un meilleur sort sur la Haute Chaîne du Jura !
(*) : 94 fiches-actions, réparties en 8 domaines :
HEPIA : Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève. Elle a été le principal intervenant, sous la houlette de Patrice Prunier, dans le projet d’Etude Reculet-Crêt de la neige.
CSRPN : Conseil scientifique régional du patrimoine naturel. Il donne son avis/aval aux opérations importantes dans les milieux protégés, notamment ceux qui ont des mesures de protection forte comme les réserves naturelles.
CCRN : Comité consultatif de la Réserve naturelle. Il est l’instance de délibération de la RN, sachant que la décision appartient au préfet, représentant de l’Etat, via les arrêtés préfectoraux. Il comprend l’ensemble des acteurs de la Réserve naturelle (administrations territoriales et État, élus locaux, propriétaires, usagers, associations, scientifiques). Il se réunit deux fois par an. Il existe une formation restreinte du Comité consultatif, le Comité de suivi de travaux, pouvant instruire des demandes de travaux ou manifestations de faible ampleur.
Cellule technique : C’est un groupe de travail qui conseille le conservateur de la RN pour la conception et la mise en œuvre du plan de gestion (PG). Il s’est ainsi réuni mensuellement, ces cinq dernières années, pour élaborer le PG3 et, au préalable, faire le bilan du PG2. Elle est composée du « premier cercle » des partenaires de la Réserve naturelle : l’ONF(Office National des Forêts), le PNR du Haut-Jura, le Conseil Scientifique, les ARN et le pôle environnement de la Communauté d’agglomération du Pays de Gex (PGA).